“Tout en restant assis sur une chaise, l’auteur part à la conquête du monde.”

Suite à une longue expérience de concepteur-rédacteur et réalisateur de contenus publicitaires, Christophe Léopold Lafont a créé sa propre maison de production Poetik Film et se consacre aujourd’hui à l’écriture et à la production de courts-métrages.

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

J’ai commencé par des études de droit à l’université Paris 2 Panthéon Assas, pendant lesquelles j’ai suivi en parallèle des formations à l’Institut Français de Presse, à l’École du Louvre et au Cours Florent. Je me suis finalement dirigé vers un DEA de Cinéma à la faculté Paris Panthéon Sorbonne, en spécialisation scénario sous la direction de Jean-Paul Torok. À la fin de mes études, j’ai intégré des agences de publicité, où j’ai successivement occupé les fonctions de concepteur rédacteur, directeur de création et réalisateur. J’ai travaillé dans ce secteur pendant vingt ans, impliqué directement dans la création d’une centaine de campagnes et de films dont une dizaine en tant que réalisateur pour des marques, des médias, et des acteurs institutionnels.

Quels ont été les apports de ces années de travail publicitaire dans ton rapport à la création ?

Je pense que ces années passées dans la publicité m’ont permis de muscler ma force de créativité, car en tant que concepteur-rédacteur on écrit des scripts qui nécessitent d’être inventif chaque jour, de se renouveler en permanence, sans relâche, ce qui devient une gymnastique intellectuelle. Pas un jour sans écrire ni sans concevoir des scripts.

La création publicitaire a en commun avec le cinéma d’être une aventure collective, donc il faut savoir convaincre et embarquer des collaborateurs avec des intentions et des personnalités très diverses. On apprend à livrer une idée qui deviendra la base d’un travail commun, dans lequel chacun s’implique à travers son savoir-faire. Dans la publicité, on travaille principalement en binôme : le directeur artistique et le concepteur-rédacteur, nous créons main dans la main, et cet échange créatif repose sur une exigence de chacun vis-à-vis de l’autre. Exigence qui nous permet d’améliorer l’idée par le regard de l’autre.

Point commun que l’on retrouve dans la relation entre producteur et auteur je trouve. Le problème de la publicité, c’est d’être chronophage, on est pris dans une machine à laver qui nous essore, elle réclame une énergie permanente et laisse peu de place dans nos vies à une pratique plus personnelle et plus artistique de la création.

Comment as-tu monté ta société de production Poetik Film ?

Il y a quelques années, j’ai commencé à ressentir le besoin de me recentrer sur une activité plus ambitieuse, et d’écrire pour le 7ème art. Suite à une ou deux aventures frustrantes avec des producteurs, j’ai voulu pouvoir réaliser des films de manière libre et indépendante. J’ai donc décidé de monter ma propre maison de production pour cette raison. En 2017, j’ai suivi une double formation à la Chambre de Commerce de Paris en création d’entreprise et en Direction de Production Cinéma. Cela m’a permis de mieux appréhender la notion d’œuvre audiovisuelle dans son vaste écosystème et tous ses enjeux : économique, social, technique, juridique, et artistique.

Au début mon objectif était de commencer par produire mes propres projets, mais très vite, au gré des rencontres, j’ai accueilli des projets d’autres auteurs, sur des thèmes qui me sont chers. En quelques mois, via Poetik Film, j’ai initié des sujets et identifié des œuvres d’amis écrivains qui pouvaient éventuellement faire l’objet d’adaptations. Si bien que je travaille actuellement avec plusieurs auteurs en développement sur leurs projets.

La production m’apporte une vision globale du processus de développement d’un film qui complète mes activités d’écriture et de réalisation. Je me rends compte qu’il n’est pas aisé de cumuler ces trois activités sur un projet, c’est pourquoi j’aimerais à terme trouver des partenaires avec qui m’engager en coproduction.

De quelle façon accompagnes-tu les auteurs ?

Je suis très heureux de pouvoir soutenir et encourager les auteurs et de partager avec eux cette belle aventure qu’est l’écriture dans un des secteurs les plus libres du cinéma — celui des courts-métrages. Depuis quelques mois, j’accompagne Myriam Chétouane, une auteure dont j’aime beaucoup l’univers, qui a reçu le prix Beaumarchais à l’écriture en 2014 et qui a réalisé « Culture d’apparences ». À travers mon rôle de producteur chez Poetik Film, j’essaie d’amener les projets vers des histoires qui portent un regard singulier sur le monde, des films qui s’efforcent de le réenchanter. Ce que j’aime en tant que spectateur, c’est ressortir du cinéma avec une envie encore plus saisissante de vivre, enrichi par cette expérience là. Je pense que le cinéma peut nourrir notre regard sur les choses et les êtres, notre amour de la vie, et permettre à chacun d’aller vers le meilleur de soi.

Très souvent, une collaboration avec un auteur commence par une rencontre et une discussion autour d’un verre. C’est un moment particulier d’échange au cours duquel j’essaie de ressentir l’auteur, son univers, les sujets dont il me fait part, j’entrevois un espace de partage autour de récits possibles. Puis quelques semaines plus tard, je reçois et découvre une première version de synopsis que je lis religieusement, la nuit, à l’heure où tout n’est que silence. Ensuite on s’accorde sur un synopsis après plusieurs séances de réflexion et de réécriture pour passer à l’étape de la continuité dialoguée.

En ce moment je travaille sur le développement d’un documentaire de création avec Nicolas Gayraud. Auteur réalisateur du film « Le temps de quelques jours », salué par la critique et Raymond Depardon quand il est sorti.

Le projet est un peu hybride, entre cinéma du réel et fiction, il suit un homme qui travaille dans un Hypermarché de banlieue, et qui s’ennuie depuis vingt ans. C’est un récit initiatique au cours duquel Nicolas embarque son personnage vers une exploration artistique de son environnement. Son personnage est menacé de licenciement car ses résultats commerciaux sont en baisse, mais il a une poésie intérieure si forte que le projet tient sur la capacité qu’ils vont avoir tous les deux à s’engager dans une exploration poétique. Le documentaire de création exige un dossier conséquent afin de trouver des financements, il y a une vingtaine de pages d’intentions sur lesquelles nous écrivons ensemble depuis plusieurs mois. L’idée étant de sculpter la substantifique moelle du récit et du point de vue avec lui, avant toute chose. Orienter le projet vers un vrai récit filmique, une oeuvre singulière. Ensuite, ma mission est de soutenir l’auteur et le projet afin de leur donner toutes les chances d’être soutenu à l’écriture, au développement et lors de la production par les diffuseurs, les collectivités, et le CNC, entre autres.

Selon toi, quelle est la nature de la relation entre l’auteur et le producteur ?

L’auteur doit être le garant de l’essence du récit dont il est à l’origine. Le producteur l’est sur sa fabrication, ce qu’on appelle la garantie de bonnes fins. C’est une posture compliquée puisqu’il faut savoir être souple et s’adapter à tous les interlocuteurs que l’on rencontre pour que le projet se concrétise. Et ils sont nombreux.

Il faut faire attention et choisir un producteur qui saura préserver cette vision initiale de l’auteur. En tant que producteur et auteur moi-même, je suis très sensible à cela. Quand j’accompagne un auteur, je veille toujours à respecter sa vision, même si je peux avoir des intuitions et des convictions. Je me range souvent à son jugement au final, même si parfois il peut y avoir débat. Il est très sain, d’ailleurs, de pousser l’auteur dans ses réflexions et retranchements, c’est essentiel je dirais même. A d’autres moments, j’ouvre des portes, j’oriente par l’échange l’histoire vers des sentiers différents, libre à lui ou elle de poursuivre l’écriture dans le sens que je lui propose. Ou pas.

Ce dont je suis convaincu, c’est que cette relation nécessite un point de résistance de la part de l’auteur, qui va définir jusqu’où on peut aller dans l’évolution du récit. J’espère nourrir ceux avec qui je travaille et savoir les amener dans leurs points de retranchement sans les heurter.

Cette relation se nourrit d’exigences réciproques autour d’un but commun : élever l’histoire et la révéler dans tout son potentiel. Il faut avoir l’exigence de la narration, et si on partage au départ cet intérêt ultime, le scénario s’améliore naturellement. Mon expérience dans le monde de la publicité a forgé ma capacité à produire des idées et à les frotter au monde : à mettre de côté les histoires d’ego pour se concentrer sur le sens de ce qu’on raconte. Une histoire s’écrit de la même façon au cinéma, à plusieurs, c’est une aventure collective.

Comment sélectionnes-tu un projet ?

Je vais là où mon coeur et mon imaginaire me portent. C’est souvent très intuitif. Ce n’est pas toujours évident de mettre dès le départ des mots sur un désir. Cela commence par la lecture d’un pitch, d’une histoire ou d’un scénario, et des images qui surgissent, des atmosphères, des personnages, on entrevoit un voyage. Après, il y a un travail de purge avec l’auteur avec qui on instaure un dialogue, c’est un moment où l’on décide vraiment de ce qui fera l’essence du film, de son angle, de ses nœuds et de leur dénouement.

Par exemple, j’accompagne Marine Kergadallan, une amie, qui est l’auteure d’un court récit (« Terre d’encre »), livre que j’ai adoré. J’ai eu envie de travailler avec elle sur la base de ce récit, sur le thème de l’inspiration de l’écrivain, ce qui n’était peut-être pas son intention principale initiale. Avec Marine, nous avons décidé d’explorer cette optique et de nous focaliser sur un seul des personnages du roman, qui en compte plusieurs, car l’éclatement narratif qui fonctionnait dans sa forme littéraire, était moins pertinent dans le cadre d’un récit de court-métrage. C’est un exemple parmi plein d’autres de la manière dont on s’engage dans le développement d’un scénario. Un peu au hasard, et en tâtonnant, sans trop savoir précisément où cela va nous conduire, comme on écrit, finalement.

Dans ta pratique personnelle de l’écriture, comment naît un projet ?

Jusqu’à présent, j’étais un auteur de commande. Cela fait seulement depuis deux ans que je me confronte véritablement à mes idées et que je m’aventure au dedans de moi-même, dans mes tripes et mon âme d’auteur. Je commence à voir émerger les thématiques qui me parlent et qui reviennent d’un projet à l’autre. L’humain, l’amour, la rencontre avec l’autre, l’étranger, les espaces tenus entre le réel et le rêve, les limites fragiles entre la normalité et la folie.

Je collabore en ce moment avec Aurélia Thiérrée, qui est comédienne au théâtre. Elle joue dans les spectacles de sa mère, Victoria Chaplin, dans un univers lyrique qui relie le cirque, le spectacle, la magie. J’ai eu l’occasion l’an dernier d’assister à l’un de ses spectacles qui m’a profondément ému et touché. Suite à cela, je suis parti m’isoler dans ma maison de campagne, pour écrire, sur un coup de tête. J’avais en tête un personnage, et le désir d’en extraire une histoire. J’ai écrit un court-métrage en quelques jours intenses, puis j’ai rencontré Aurélia pour lui soumettre le projet, nous en avons discuté et cela lui a plu. J’aimerais tant pouvoir concrétiser ce court-métrage un jour avec elle. Ce projet fait partie de mes rêves et aventures à venir, avec lui je n’ai qu’un désir, celui de décrocher la lune. A travers un récit simple, je délivre un point de vue très intime et qui je l’espère offre une vision à la fois singulière et universelle sur la rencontre avec l’autre. Et comme tout récit, il a été écrit dans un bureau, les fesses vissées sur une chaise et l’esprit rivé sur un écran d’ordinateur. C’est le point de départ identique à toute histoire. Un auteur qui remplit une succession de pages blanches sans quitter son bureau.

Je pense souvent à Jacques Brel qui disait que l’homme n’est pas fait pour passer sa vie dans un bureau, que l’homme est un Vasco de Gama dans l’âme. L’auteur réunit sans doute ces deux facettes : tout en restant assis sur une chaise, il part à la conquête du monde.

As-tu des rituels d’écriture ?

La pratique de la création me fascine, c’est toute ma vie. Je me demande souvent comment font les autres, quelles sont les particularités du rapport de chacun à sa propre création. C’est pour cela que je me suis plongé dans plusieurs portraits de scénaristes publiés sur le blog de Paper to Film, avec un vif intérêt. J’ai aussi lu beaucoup d’ouvrages d’auteurs sur ce sujet comme l’emblématique « Ecriture » de Stephen King avec sa fameuse question : est-ce la vie qui soutient l’art ou l’art qui soutient la vie ? Pour savoir où il devait placer son bureau dans la maison, au centre de la pièce de vie, ou dans un coin. En revanche, pour ma part, je n’ai pas de pratique régulière et ritualisée quand j’écris.

J’ai la chance d’avoir une maison de campagne, non loin de Paris, où je peux m’isoler pour écrire, avec pour seuls compagnons des canards et des oiseaux. Cela me permet de me couper du monde, de m’offrir une bulle de deux ou trois jours en continu d’où je peux écrire comme un moine bénédictin. Je tire aussi une énergie de la vie parisienne, dans les cafés, où je pars vite en rêve sur les passants qui défilent devant moi, comme Modiano a pu le faire j’imagine. J’ai besoin de ces deux énergies pour écrire : celle de Paris pour son flux et son agitation permanente et celle de la campagne, pour me plonger pleinement dans le processus d’écriture, dans une espèce de rêve éveillé.

As-tu un mot pour les auteurs ?

Je suis réellement surpris du manque de considération sociale de la profession d’auteur ou de scénariste. Même si la SACD contribue ces dernières années à la défense de ses intérêts. Sans scénario, il n’y a pas de film, c’est le coeur et l’âme de tout récit, c’est le sens, le fond. Tout le reste, la réalisation au premier chef, est la mise en forme de ce fond là, par la mise en scène. L’auteur est un poste clé et moteur de toute l’industrie du cinéma.

A ce titre, je pense que Paper to Film participe grandement à la mise en lumière de cette profession, et du travail fourni par les auteurs. J’essaie de faire cela aussi à mon échelle. Je me rends compte que les auteurs sont souvent moins armés que les réalisateurs et les comédiens pour se confronter au monde. Leur posture est par essence plus retranchée, plus humble, et donc plus fragile, c’est pourquoi il est important qu’ils puissent trouver refuge dans des lieux de confiance comme un organisme tel que Paper to Film ou une société de production qui les respecte eux et leur travail.

Lia Dubief de Paper to Film

 

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